21/10/2020

Présentéisme : zoom sur ce phénomène très français

Travailler plus pour être mieux valorisé, est-ce vraiment une bonne idée ? Faut-il faire des heures supplémentaires pour démontrer son engagement ? Face à la peur de décevoir un manager, un salarié peut prendre l’initiative de rester plus longtemps à son poste, même s’il n’est plus efficace. Ce phénomène appelé “présentéisme” est une particularité “so frenchie” qui a mauvaise réputation. Et pour cause ! 

Définition du présentéisme 

A l’opposé de l’absentéisme qui correspond au fait d’être absent de façon habituelle du lieu de travail ou d’études, le phénomène de présentéisme désigne “la dissociation de la présence physique et de la présence mentale : le travailleur assure sa présence au travail, parfois même en étirant les heures de bureau mais n’a clairement pas l’esprit au travail.” Il peut être considéré comme une maladie professionnelle silencieuse aux pathologies physiques et psychiques potentiellement grave comme les maux de tête à répétition, l’extrême fatigue, la perte de mémoire, le stress, ou encore les problèmes articulaires ou musculaires. 

Quelle que soit la profession exercée, le présentéisme peut toucher tous les salariés, y compris les indépendants. 

Quid du présentéisme en France ? 

En France, la culture du présentéisme est ancrée dans les esprits. Nous considérons que le fait de passer beaucoup de temps au travail est synonyme de réussite, d’implication et joue en la faveur de notre carrière professionnelle. A l’inverse, chez nos voisins suisses ou aux Etats-Unis, les heures supplémentaires sont interprétées de façon négative ; pour eux, cela signifie que le salarié ne sait pas s’organiser ou pire encore, il néglige sa vie familiale. Dans ces cultures bien différentes de la nôtre, ce qui compte, c’est que le travail soit fait. 

En 2019, la plateforme de recrutement Glassdoor a interrogé 800 salariés français pour recueillir leur avis sur le présentéisme en entreprise. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : 

  • 1 salarié sur 4 admet être déjà resté au travail sans être efficace mais seulement pour être bien vu par le manager ou la direction ; 
  • 1 salarié sur 4 est gêné lorsqu’il arrive en dernier au bureau le matin ; 
  • 30% des Français estiment que partir avant 18 heures est mal vu ; 
  • 1 travailleur sur 5 reconnaît travailler sur des tâches personnelles pour faire passer le temps au travail. 

Les salariés français sont-ils adeptes du présentéisme volontaire ? 

Si certaines entreprises profitent de l’assiduité de leurs salariés pour leur demander toujours plus, il est fréquent que le phénomène de présentéisme dépende du salarié lui-même. Pire encore, il est souvent volontaire pour des raisons personnelles ou financières. L’envie de progresser, la peur de prendre du retard dans les tâches à réaliser ou encore la crainte de nuire aux collègues ou aux clients sont autant de raisons qui poussent les travailleurs à rester au-delà des heures de travail convenues dans le contrat. 

Le présentéisme ou une culture managériale difficile à révolutionner 

Ce n’est un secret pour personne, le présentéisme fait partie intégrante de notre culture professionnelle et managériale. Du côté des entreprises fondées sur le contrôle et la compétition, l’engagement des salariés se mesure en fonction du temps passé à son poste de travail. Concernant les managers, ils ont besoin de pouvoir compter sur leurs collaborateurs à tout moment, et leur présence physique au travail s’avère indispensable. Enfin, pour ce qui est des salariés, le simple fait de devoir se justifier quand on arrive en retard ou alors qu’on part (un peu) plus tôt du bureau est difficile à encaisser et pousse parfois à rester plus longtemps le jour suivant, histoire de compenser et de tromper les apparences. 

Le statut cadre est-il synonyme de présentéisme obligatoire ? 

Dans l’imaginaire, le statut de salarié cadre est synonyme de dévotion presque totale à l’entreprise. On ne compte pas ses heures de travail, on est joignable à tout moment (y compris le week-end et les jours fériés) et on s’investit pleinement dans les projets confiés afin de prouver qu’on mérite ce statut trop souvent idéalisé par les Français. Pour cette catégorie de professionnels, le présentéisme est une normalité ; rester jusqu’à 20 heures à son bureau, à répondre aux email ou à finir des tâches non urgentes, est leur quotidien. Pourtant, ils restent des êtres humains et malgré leurs responsabilités, ils oublient parfois qu’ils ont une vie privée, une famille qui l’attend. 

Comment limiter le phénomène de présentéisme en entreprise ? 

Au détriment de la qualité, notre société actuelle mise beaucoup sur “l’hyper-tout” : hyper-sollicitation, hyper-(ré)activité. Peut-être qu’il serait temps de booster l’efficacité des salariés autrement, en prônant davantage le “faire mieux avec moins”. Un employeur se doit de veiller à la bonne santé physique et psychique de ses salariés, quels que soient la taille de l’entreprise ou le nombre de salariés en poste. Plutôt que de mettre la pression en incitant à produire toujours plus, il pourrait être pertinent de lâcher du lest et d'améliorer la qualité du travail. 

Le rôle primordial des managers pour lutter contre le présentéisme 

Dès l’instant que le manager ne joue pas son rôle, le présentéisme peut devenir une norme dans une équipe ou un service. Pourtant, c’est à lui de sensibiliser ses collaborateurs au phénomène et de trouver des solutions pour l’éviter au maximum. Il suffit parfois de rappeler les horaires de travail, tout simplement. Il ne doit pas oublier qu’il doit montrer l’exemple. Plus un manager fera des heures supplémentaires, plus ses collègues auront tendance à vouloir reproduire la situation pour montrer son implication. Déculpabiliser les retards (quand ils sont justifiés) et la prise de congés, voilà l’une des missions du manager d’équipe. 

Enfin, pour éviter aux salariés de rester tard le soir, ou d’arriver trop tôt le matin, les créneaux disponibles pour les réunions doivent être définis clairement. Par exemple, jamais de réunion importante à 17h00 car elle risque de durer longtemps et les personnes ayant des obligations personnelles se retrouvent dans une situation inconfortable, tiraillées entre la peur d’être en retard pour récupérer les enfants ou celle de manquer des informations importantes abordées lors de la réunion. 

Mettre en place une charte pour le droit à la déconnexion 

Entré en vigueur le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion est encore peu répandu dans les entreprises, au grand désarroi de certains salariés qui, de peur d’être critiqués, continuent de répondre à leurs email sur la plage ou à 2 000 mètres d’altitude. 

Pour éviter que cette situation ne perdure, et afin de respecter ce fameux droit à la déconnexion, une charte de bonne conduite pour être mise en place au sein de l’entreprise. Il s’agit de définir quelques règles importantes comme l’interdiction d’envoyer des email après 18 heures et le week-end. L’employeur peut également interdire la connexion aux outils de l’entreprise en dehors des horaires de bureau. 

Les différentes formes de présentéisme 

C’est un véritable sujet, souvent abordé sur le ton de l’humour quand un collègue part à 16 heures et qu’on lui balance “tu as pris ton après-midi ?”. Derrière ce genre de réflexion, se cache toujours une part de jalousie (même si elle n’est pas vraiment assumée). 

En réalité, lorsqu’on se penche sur le présentéisme, on peut constater qu’il en existe plusieurs formes : 

  • le présentéisme contemplatif ou l’absentéisme moral : le salarié est présent physiquement à son poste mais il ne travaille pas de façon concrète car il est souffrant ou il manque de motivation par exemple ; 
  • le présentéisme stratégique : le salarié rallonge ses journées pour montrer sa présence, pour être bien vu par les autres collaborateurs et la hiérarchie ; 
  • le surprésentéisme : le salarié vient au travail même lorsqu’il est malade ou extrêmement fatigué. Il fait des heures supplémentaires et répond oui à toutes les sollicitations. 

Le présentéisme peut nuire gravement à votre santé ! 

Si les employeurs récompensent les salariés pour leur implication avec des primes exceptionnelles ou des bons cadeaux, le présentéisme ne rime pas avec productivité, bien au contraire ! Il est plus souvent synonyme d’inefficacité, de manque de motivation, et de baisse de la qualité du travail réalisé. A cela s’ajoute le risque de créer une mauvaise ambiance de travail, et par conséquent, de nuire à l’image de l’entreprise. 

A cause de la pression, du stress et de la charge de travail trop importants, certains salariés trop carriéristes prennent des risques pour leur santé sans en avoir conscience. Au Japon, ce surmenage porte le nom de “karoshi” et signifie “la mort par surtravail à cause d’un arrêt cardiaque dû au stress”. Dans ce pays, pour éviter que la situation ne prenne trop d’ampleur, les salariés au bord du gouffre sont invités à quitter le travail plus tôt le vendredi pour faire du shopping, histoire de se détendre. 

Autre exemple hallucinant : en Corée du Sud, les salariés épuisés peuvent faire un séjour dans un faux lieu de détention. Ce programme appelé “Prison Inside Me” a déjà séduit plus de 2 500 coréens. Il s’agit d’une prison améliorée où les détenus viennent volontairement pour méditer dans une pièce de 5 m² où les appareils électroniques sont proscrits, tout comme les miroirs et les horloges. Un véritable havre de paix pour ces travailleurs surmenés qui ne règlent pas les problèmes de fond mais qui permet, pendant quelques jours, de souffler un peu, loin du tumulte de la vie professionnelle. 

Loin de nous l’envie de vous faire peur ! Mais il est important de rappeler qu’exercer un emploi ne doit pas impacter votre vie privée ni votre santé. Levez le pied et vous serez davantage épanoui ! Finalement, les absents n’ont peut-être pas toujours tort...